Comportementalisme et manipulation : le comportementaliste, un « manipulateur », capable d’induire des comportements ?

Pour une partie du public, le comportementaliste est la personne capable de susciter des comportements (souhaités) ou d’en faire disparaître d’autres (non souhaités), sans avoir à faire appel à quelque forme d’éducation que ce soit, et encore moins à quoi que ce soit qui ressemblerait à de la contrainte ou de la coercition. Il pourrait s’assimiler à une sorte de « manipulateur », capable d’induire des comportements souhaités en actionnant les stimuli déclencheurs appropriés.

Comportementalisme et manipulation : les behavioristes

C’est d’ailleurs très exactement ce que pensaient les comportementalistes de la première heure, les behavioristes : le dénommé Skinner n’affirmait-il pas que l’on pouvait apprendre n’importe quoi à n’importe quel animal (les humains y compris) ? Les seules limites étaient pour lui les capacités cognitives et physiques des individus concernés d’une part, et l’habileté du comportementaliste d’autre part.

On notera d’ailleurs que pour la plupart des dictionnaires, comportementalisme et behaviorisme sont deux termes synonymes. 

En somme, les comportements seraient essentiellement acquis. Et par conséquent manipulables, presque à volonté. 

Ce qu’ont démontré les éthologistes, puis les sociobiologistes après eux

On le sait, les éthologistes ont montré plus tard qu’au contraire, nombre de comportements sont innés. D’autres sont acquis (appris), mais dans des limites plus ou moins étroites, à leur tour, innées.

À l’évidence, les comportements innés sont le résultat d’un processus de sélection. Se trouvent favorisés les comportements les mieux adaptés à leur environnement. 

Ce que les sociobiologistes ont montré, c’est que cette sélection s’opère le plus souvent au niveau du groupe, voire de l’espèce, fût-ce dans certains cas au détriment même de l’individu. 

Si les éthologistes ou les sociobiologistes ont raison, cela a au moins une conséquence. S’il nous reste la possibilité de comprendre (plus ou moins) les mécanismes d’un comportement, la possibilité de sa manipulation devient très aléatoire, voire impossible ! 

Comportementalisme et manipulation : les ressorts secrets de l’économie comportementale

Et pourtant… et pourtant les behavioristes ont une nombreuse descendance ! Par exemple, les tenants (modernes) de l’économie comportementale !

Pour ces « spécialistes », le consommateur rationnel n’existe tout simplement pas. Les décisions que prennent les consommateurs obéissent à des critères irrationnels et inconscients. Et par conséquent, on peut influencer dans le sens que l’on veut le consommateur acheteur, en agissant sur ces critères irrationnels. Ils appellent « nudge » ce type d’action : littéralement, le « coup de coude » qui vous invite à marcher dans telle direction. 

Aujourd’hui, la totalité des démarches publicitaires utilise, ou croient utiliser les principes de l’économie comportementale.

Mais on est allé ensuite, très vite, beaucoup plus loin.

Comportementalisme et manipulation en politique

Le raisonnement est le suivant. L’économie comportementale ayant permis d’imposer à peu près partout dans le monde des produits aussi nocifs que Coca–Cola, avec pour conséquence une obésité humaine tout à fait catastrophique, il n’y avait aucune raison pour que les mêmes techniques ne puissent s’appliquer avec le même succès à d’autres produits, au potentiel destructeur au moins comparable, je veux parler des politiciens.

J’ai montré dans d’autres articles que c’est ainsi qu’on a fait élire Barak Obama, mais aussi François Hollande, Emmanuel Macron…

Succès incontestables ? Est-ce si sûr ?

Comportementalisme et manipulation : les limites ! 

Nombreux sont aujourd’hui les chercheurs qui doutent tout simplement que l’on puisse réellement et en profondeur manipuler tant que cela les comportements.

Par exemple, il paraît au moins un ouvrage par jour (en tout cas en langue anglaise), traitant de l’art du management et de la motivation des équipes et des entreprises. On remarquera que si un seul de ces ouvrages était parvenu à des conclusions probantes, cela aurait fini par se savoir ! Et l’on aurait plus partout que des dirigeants efficaces et des dirigés heureux. Est-ce vraiment le cas ?

À l’opposé, on peut détenir une preuve presque certaine de l’inefficacité à moyens et longs termes des manipulations de l’économie comportementale. Cette preuve, c’est la croissance incontestable partout dans le monde ou à peu près, des votes dits populistes. Des votes qui ne sont soutenus par aucun média. Au contraire ils sont de façon unanime, et par tous les moyens disponibles, combattus par la totalité de ces médias. Médias pourtant tous parfaitement formés (consciemment ou pas) aux méthodes et techniques de l’économie comportementale. 

Comportementalisme et manipulation : comment naissent les comportements ?

À ce stade de la réflexion, on a envie de poser cette question : mais comment naissent les comportements ?

Et bien sûr, les mieux à même pour essayer d’éclairer notre pauvre lanterne sont les neurobiologistes, lesquels disposent aujourd’hui d’outils d’observation de plus en plus perfectionnés et sophistiqués… au moins pour ce qui concerne les animaux…

Du point de vue des neurobiologistes, qu’est-ce qui détermine un comportement ?

Si les sociobiologistes ont raison, on pourrait s’attendre à une sorte de dictature des génomes. Tout serait en quelque sorte « écrit d’avance » dans l’ADN de l’individu.

Seulement, voilà ! Il paraît que ce n’est pas aussi simple !

Sexe et chromosomes

Par exemple, jusqu’à il y a quelques jours, j’ai été complètement certain qu’être équipé d’une paire de deux chromosomes XX, ou XY suffisait à déterminer le sexe, et donc d’une certaine façon, bien des aspects du comportement d’un individu (qu’on le veuille ou non).

Mais la lecture d’un ouvrage tout à fait passionnant, que je ne puis que recommander, m’a plongé dans un océan de perplexité ! Le titre de l’ouvrage ? « Quand le cerveau devient masculin » (parution avril 2019). Son auteur : Jacques Balthazart, éminent neurobiologiste. 

Un ouvrage qui « décoiffe » bien des idées reçues, et cela, comme l’auteur l’indique lui-même, surtout en France ! À commencer par ceci, que beaucoup auront de la peine à accepter : quelque amour qu’on puisse nourrir pour « l’égalité », les cerveaux masculins et féminins sont radicalement différents. Pas question, bien sûr de quelque supériorité de l’un ou de l’autre. Mais de différence, si. Le nier, c’est donc nier la nature. 

Pour tout vous dire, cela, j’étais prêt à le croire. En revanche, ce qui m’a beaucoup plus interpellé, c’est de découvrir, ô surprise, qu’on peut être équipé en XY, et être cependant… du sexe féminin !

C’est qu’en effet, en matière de sexe, les chromosomes ne sont qu’une partie de l’équation… 

Comportement sexuel : le résultat d’une cascade d’évènements

Vous découvrirez, entre autres, la formidable erreur de l’affirmation : « On ne naît pas femme, on le devient. » La réalité, nous dit-on, c’est que nous naissons tous… femme ! Et qu’il faut une incroyable cascade d’interactions et d’enchaînements pour produire ce que l’auteur appelle un « cerveau masculin ». Interviennent en effet, pour fabriquer un individu de sexe masculin, non seulement les chromosomes, mais un enchaînement complexe d’actions hormonales, qui doivent se dérouler à des moments précis…

N’allez pas croire cependant que les chromosomes et les hormones suffisent à comprendre… Non ! Ce serait beaucoup trop simple !

Intervient par exemple, de façon significative, « l’épigénétique » : cette action exercée par un environnement sur l’expression des gènes. Le plus étonnant est que cette action peut se transmettre sur plusieurs générations… On se doute, par exemple, qu’un nourrisson soumis à une malnutrition puisse connaître certaines déficiences. Ce qui est beaucoup plus étonnant, c’est que la descendance, même normalement nourrie, présente au moins en partie les mêmes déficiences !

Chromosomes, hormones, épigénétique… l’équation sexuelle des comportements se révèle beaucoup plus complexe que tout ce que l’on pourrait imaginer…

Comportementalisme et manipulation : rien pour le sexe ! 

Plus complexe, oui, mais surtout totalement hors de toute possibilité d’influence par quelque procédé de conditionnement que ce soit. Par exemple, l’auteur est formel : personne ne choisit sa sexualité. Et il n’y a aucun moyen d’action sur les préférences sexuelles d’un individu. Dans la pratique, tout se joue quelques jours avant et après la naissance. Ensuite, les « jeux sont faits », de manière strictement irréversible.

Le pape François a ainsi manqué (une fois de plus ?) une magnifique occasion de se taire, lorsqu’il a conseillé de confier les petits garçons présentant un déficit de virilité à des psychiatres. La presse et les commentateurs se sont indignés ! Comment cela, un manque de virilité serait assimilable à une maladie ? Bien sûr, l’auguste prélat, pris en flagrant délit de pensée incorrecte, s’est empressé de revenir sur ses propos. Mais pas pour les bonnes raisons. Selon le neurobiologiste, la question n’est pas d’avoir un avis sur l’homosexualité, mais de comprendre qu’il n’existe aucun moyen d’agir sur les préférences sexuelles des individus. Et par la psychiatrie encore moins que par quelque autre moyen que ce soit. 

Tout est joué… dès le début

L’orientation sexuelle n’est impactée, ni par l’environnement, ni par l’éducation, et encore moins par d’éventuelles expériences précoces qui agiraient comme une forme d’imprégnation. 

C’est ainsi qu’il n’y a pas plus d’individus homosexuels chez les enfants élevés par des couples homosexuels que dans le reste de la population. Le pourcentage des homosexuels dans une population se révélant d’ailleurs singulièrement homogène dans tous les pays et toutes les cultures, même les plus répressives à ce sujet. 

Ou encore, on peut décider d’élever les petites filles comme des petits garçons, en ne leur donnant par exemple que des jouets de garçons, elles resteront quand même des petites filles.

Les singes aussi ! 

Avec sur ce dernier point, une observation aussi inattendue que surprenante. On sait que si l’on propose à des petits enfants des jouets tels que des locomotives et des poupées, une nette majorité de garçons choisira les locomotives, tandis qu’une majorité de filles préférera les poupées. Rien de très étonnant à cela me direz-vous, et l’on m’expliquera que la culture et l’environnement expliquent seuls ces choix, qui n’auraient donc rien « d’inné ». L’influence sociale serait l’élément déterminant. 

Soit. Mais présentons maintenant, et pour la première fois, les mêmes jouets, non plus à des enfants, mais à des bébés… singes ! Aucune influence sociale à craindre dans ce cas, n’est-ce pas ? Et pourtant surprise, les petits singes mâles montrent une nette préférence pour les jouets de « garçons », tandis que les femelles choisissent… les poupées ! 

Comme l’influence sociale ne peut ici être sérieusement invoquée, il faut bien que quelque chose de plus profond et de plus puissant explique ces différences de comportement ! 

Le sexe du cerveau

Comportementalisme et manipulation, masculin et féminin
masculin et féminin

Et ces différences se situent au niveau du cerveau. Les neurobiologistes savent (à peu près) comment elles s’organisent, et à quel âge cela se produit : chez les garçons, deux pics de testostérone dans les quinze jours qui précèdent et suivent la naissance. Transformation définitive et parfaite irréversible !

Avec cette conséquence, elle aussi inattendue : en l’absence de ces deux « pics », le cerveau sera, ou plus exactement, restera féminin ! Oui, vous avez bien lu, tous les mâles ont commencé par être… des femelles ! La nature ne prend pas des morceaux de garçons pour en faire des filles, mais produit des cerveaux masculins à partir de cerveaux féminins ! 

Il faut se faire à cette idée, qui choque peut-être notre culture française égalitariste, mais oui, les cerveaux masculins et féminins présentent des différences. Et ces différences sont telles qu’un neurobiologiste identifiera, sans doute possible, le sexe d’un cerveau, sans avoir besoin de s’en référer aux organes sexuels. 

Des cerveaux avec des aptitudes différentes

Comportementalisme et manipulation : fillette et ballon de foot
fillette et ballon de foot

Des différences qui impactent, comme on l’a vu les préférences sexuelles, et donc les comportements. Mais pas seulement. C’est ainsi qu’en moyenne, les cerveaux féminins sont plus équipés pour les actions de communication, tandis que les masculins sont souvent plus à l’aise pour les évaluations spatiotemporelles. 

Différences qui ne sont pas aussi systématiques que celles qui impactent la sexualité, et c’est ainsi qu’on trouvera des hommes parfaitement masculins, mais non moins doués pour la communication, et des femmes à l’aise avec le spatiotemporel. Comment expliquer ces écarts par rapport à la moyenne ? La culture, les apprentissages, les expériences ? Un peu de tout cela ? 

Comportementalisme et manipulation : les limites pratiques ! 

Peu importe après tout. Mais ce qui est à retenir, c’est que nous pouvons deviner là les possibilités, mais aussi les limites de toute action visant à influer sur les comportements. 

Pour ce qui concerne les « fondamentaux » (sexualité par exemple), rien à faire. Pour le reste, des influences sont parfois possibles. Mais de manière très limitée, presque marginale. 

L’étude des comportements est un sujet passionnant et profondément enrichissant. Mais l’objectif principal doit rester d’en comprendre, autant que possible, les « mécanismes directeurs ». Mais une quelconque ambition d’influencer réellement les comportements autrement que de manière très marginale, pourrait bien nous jeter rapidement dans des impasses !

Le comportementaliste, un observateur ? Oui, certainement. Un manipulateur ? Certainement pas. 

Quand bien même le voudrait-il…

De quoi rebattre, on en conviendra, certaines idées reçues…

Pour aller plus loin : 

Éducation canine : tout à repenser !

Chien agressif : le chien plus souvent que la chienne, vérité ou légende ?

Castration et pelage : la castration est-elle oui ou non sans effet sur le pelage ?

Le comportement dans tous ses états, Michel Georgel


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